
Laurent Bessière est le directeur du département Performance du RC Lens qui regroupe une vingtaine de personnes (médecin, kinés, préparateurs physiques, data analyste, prof de yoga,…) et donc, est la personne la mieux placée pour nous expliquer cette intensité folle que l’équipe met dans chaque rencontre, notamment celle d’hier soir face au PSG (1-1).
Bonjour Laurent, après une rencontre comme celle d’hier soir, quelle est la data que vous regardez en premier en rentrant chez vous ?
Laurent Bessière : Je ne regarde pas de data particulière mais je me demande si les joueurs avaient de l’énergie, étaient dynamiques, ont-ils joué en équipe ? Ont-ils pu exprimer leur potentiel physique au maximum en répondant au projet de jeu du coach ?
La réponse est oui j’imagine…
Oui !
Combien de kilomètres avez-vous parcourus hier?
114… Mais, selon moi, la performance globale de l’équipe n’a rien à voir avec la distance parcourue ni d’ailleurs avec d’autres datas athlétiques. On est obligé de croiser ces données-là avec le contexte du match et les différents scénarios (évolution du score, projet de jeu).
Est-ce un record cette saison ?
Presque ! Cette saison nous avions atteint les 117 kilomètres contre Troyes (victoire 4-0 en novembre dernier) et frôlé les 125 kilomètres contre Rennes la saison dernière si je me souviens bien.
Quel est le joueur ayant le plus couru hier ?
Frankowski et Clauss, qui ont fait 12 kilomètres chacun et le plus intéressant c’est qu’ils ont parcouru 1 km au-dessus de 20 km/h, et 500m au-dessus de 25 km/h.
Pouvez-vous nous détailler un peu votre méthode qui a déjà porté ses fruits à Reims où vous avez terminé 6èmes et décroché une place qualificative pour les barrages de Ligue Europa (saison 2019-2020)…
L’idée est d’adapter le travail athlétique au projet de jeu de l’entraîneur, l’objectif est de lui laisser le maximum de temps pour créer les automatismes entre joueurs, donc nous jouons sur les dimensions du terrain, le rythme des séances… Si nous voulons travailler le pressing par exemple, nous le ferons dans de petits espaces. Nous utiliserons des grands espaces pour travailler la résistance et les longues courses et, en même temps, nous imposerons des contraintes de jeu (thèmes, zones avec nombres de touches de balle/nombre de passes limitées).
Les séances sont de maximum 80-90 minutes et sont hyper denses avec des périodes relativement courtes. Tout se fait avec le ballon toute la saison. C’est un travail dit « en structure » sur des bases de travail en 10 contre 10.
Vous ne faites jamais de VamEval ou de test Cooper, les basiques de la préparation physique « à l’ancienne » ?
Non, ou vraiment très très peu.
Cette série récente un peu négative (défaite à Brest, nuls contre Angers et Clermont) ne vous inquiétait pas sur un plan purement physique ?
Non pas vraiment, nous avons un jeu à risques avec un projet de jeu très ambitieux et parfois l’adversaire fait preuve de beaucoup d’efficacité, comme à Brest. Clermont aussi a été réaliste et, contre Angers, on peut gagner le match sur la fin. Le discours serait différent aujourd’hui. Nous adaptons toujours les méthodes d’entraînement, les semaines à 3 matchs notamment, et je n’ai pas senti les gars particulièrement fatigués.
Justement, dans l’hypothèse (plus que plausible) d’une saison avec coupe d’Europe, votre méthode permettrait-elle de répéter les efforts sans avoir à effectuer un gros turnover d’effectif ?
Le turnover est nécessaire pour l’équilibre du vestiaire mais oui je pense que la méthode peut limiter un turnover trop important qui pourrait fragiliser les automatismes. En tout cas, lors des semaines à 3 matchs, nous travaillons de la même façon, la différence est sur les volumes d’intensité. Nous passons de 20 à 25 blocs de jeu sur une semaine dite normale à 12-15. Les séances sont beaucoup plus courtes entre les matchs, d’une trentaine de minutes le lendemain d’un match en semaine par exemple. Où l’on fait davantage un travail de technique au poste et de la stimulation musculaire avec des 11 contre 11 ou 10 contre 10 afin d’avoir de la continuité dans le jeu et des repères collectifs. Ensuite, la veille de match, c’est le coach qui décide de la séance mais on évite toujours d’exiger beaucoup de courses ce jour-là.
Mais, au final, tout est entre les mains des joueurs, nous sommes là pour les accompagner mais le reste c’est de la « préparation invisible » : bien manger, bien dormir, bien récupérer… Nous travaillons et sommes très attentifs à l’adhésion des joueurs au projet global.
Le concept de Département Performance est somme toute assez récent et vous êtes l’un des pionniers du concept, déjà au Stade de Reims depuis 2014. L’idée est de couvrir tous les aspects de la préparation d’un athlète et de limiter au maximum les mauvaises surprises, non ?
L’objectif est de développer une structure pour que le joueur ait tout sur place, cela peut faire peur car il y a beaucoup d’intervenants et cela demande pas mal de management. Cela se faisait déjà depuis bien longtemps dans le rugby et notamment l’hémisphère sud et le rugby à 13. Aujourd’hui, les clubs pro travaillent par poles. Le département Performance est organisé en 3 poles : Pole préparation physique et data, pole médical et pole optimisation qui travaillent en synergie.
Ce RC Lens depuis 1 an et demi, et, de plus en plus, ressemble à l’Atalanta dans son style de jeu… C’est votre modèle ?
Le staff en général aimons beaucoup ce qu’ils font et c’est vrai que tactiquement nous jouons un peu de la même façon. Après, il est possible de mettre de l’intensité dans le jeu quel que soit le schéma tactique. Selon les scénarios de matchs, les joueurs doivent être capables de s’adapter aux changements de consignes ou de schéma tactique et mettre la même agressivité.